C’est la première visite que Macron effectue au Cameroun depuis son accession au pouvoir en France. Une visite stratégique et géopolitique. Décryptage
Il ne s’était jamais rendu au Cameroun pendant son premier mandat. Pour comprendre cela, il faut remonter à sa politique étrangère africaine au début de son premier mandat. Lorsque Macron arrive à l’Élysée, Le Cameroun de Paul Biya est parmi les Etats non fréquentables, à en croire son entourage. Les raisons : le président Paul Biya est déjà assez vieux et devrait laisser le pouvoir à la nouvelle génération ; en plus son régime ne respecte pas les droits de l’homme. L’on se souvient que c’est durant son premier mandat que l’ambassade du Cameroun à Paris avait été saccagée et vandalisée par les activistes camerounais de la diaspora. Pour Yaoundé et la majeure partie de l’opinion publique au Cameroun, Paris avait fait montre d’une négligence sinon complice mais inexplicable en laissant impunément ces hors- la loi détruire la représentation diplomatique du Cameroun. L’on se rappelle aussi que le Président Macron n’avait jamais été tendre vis-à-vis de son homologue camerounais dans ses propos, lorsqu’à deux reprises il a été interpellé par deux activistes camerounais à des périodes différentes. Et hors des canaux diplomatiques, Emmanuel Macron a eu à fustiger le régime de Yaoundé, portant ainsi sur son dos une bonne partie de l’opinion publique camerounaise pourtant favorable à son président. Pour de nombreux observateurs, ces interventions peu commodes du président français allaient créer des tensions entre Yaoundé et Paris et refroidir leurs relations.
Le second aspect de la politique étrangère africaine de Macron était de sortir du pré carré, mettre de côté la France -Afrique et traiter avec la société civile. C’est pourquoi, il n’organise pas les traditionnels sommets que ses prédécesseurs avaient souvent l’habitude de tenir avec les présidents africains. C’est dans cette mouvance de sa politique étrangère africaine que va intervenir la conférence africaine de Montpellier avec la société civile. Seulement Macron va comprendre plus tard que sa politique de mettre de côté les chefs d’état africains a des limites.
Pendant ce temps l’Afrique centrale se mondialise
Pendant que Macron « boudait » l’Afrique centrale, les chefs d’états de ces pays décident de regarder ailleurs et de signer des conventions de coopération militaire, culturelle et économique avec d’autres partenaires russe, turc, brésiliens, chinois et canadiens etc. Les entreprises de ces nouveaux partenaires gagnent de parts importantes de marchés tandis que celles françaises perdent du terrain. C’est le cas de Bolloré au terminal du Port Autonome de Douala. Le pourcentage de la part des marchés des entreprises françaises a sensiblement chuté, passant de 20% en 2015 à 10% en 2022. Sur le plan bilatéral, les Etats africains vont chercher entretemps de diversifier leur partenariat. C’est ainsi que le Gabon va entrer au Commonwealth, la République centrafricaine se penche de son côté vers la Russie et le Cameroun renouvèle ses accords militaires avec la même Russie. Le Congo -Brazza va même recevoir le ministre russe des affaires étrangères au même moment que Macron est en visite officielle au Cameroun. On dirait que la France de Macron n’a pas vu venir cette mondialisation de l’Afrique centrale. C’est maintenant que la France va se réveiller avec la visite de Macron au Cameroun. Cette visite n’intervient-elle pas trop tard ?
A too late visit
Les observateurs de la politique internationale s’accordent à reconnaitre que la visite de Macron au Cameroun est intervenue trop tard. Macron a compris que sa politique de mise à l’écart des présidents africains et de recourir à la société civile non seulement n’était pas fructueuse, mais aussi connaissait des limites. Pendant qu’il « boudait » les chefs d’Etat, les autres puissances occidentales, américaines, asiatiques gagnaient du terrain en Afrique centrale. C’est maintenant que Macron prend conscience de cet état des choses et décide enfin de se rendre au Cameroun ; les Etats que Macron et son entourage jugeaient infréquentables sont devenus fréquentables. Pour beaucoup d’autres observateurs, c’est avec un profil bas que Macron est venu au Cameroun. Une façon d’aller à Canossa, ont poussé loin d’autres analystes de la scène politique africaine. La France est en mauvaise posture en Afrique. Macron en a pris conscience, c’est pourquoi l’Afrique est devenue une priorité pour son second mandat. Tout faire pour contrecarrer l’offensive russe en Afrique et reconquérir les pays africains qui ne sont plus la chasse gardée d’une grande puissance coloniale. Les chefs d’état en Afrique somme toute restent incontournables et les sociétés civiles, on ne sait qui elles représentent et de quel poids pèsent-elles vraiment sur l’échiquier national et africain. Macron l’a visiblement compris.
Jean Pierre Ombolo